Faut-il avoir peur de la loi sur le parrainage pour l’élection présidentielle ?


Faut-il avoir peur de la loi sur le parrainage pour l’élection présidentielle ?
Depuis quelques semaines, le projet de loi sur le parrainage fait bruire la classe politique sénégalaise et donne à la presse et aux sénégalais matières à débats. 
Le parrainage pour une élection est un mode de sélection où une candidature est validée lorsqu’un certain nombre de citoyens ou d’élus donnent leur accord à cette candidature. Il y a le parrainage citoyen et le parrainage d’élus. Pour le cas du Sénégal il est plutôt question de parrainage citoyen. Le parrainage est une des conditions d’éligibilité du président d’un Etat. Dans toutes les démocraties, une loi définit les conditions d’éligibilité à une élection donc à une élection présidentielle aussi. Ces conditions d’éligibilité sont un premier filtre ou une première sélection à une élection. En France par exemple pour être candidat à une élection présidentielle il faut remplir les conditions cumulatives suivantes c'est-à-dire que si une seule de ces conditions n’est pas remplie la demande de candidature est rejetée. Il faut avoir 18 ans au moins depuis la loi organique du 14 avril 2011 (23 ans auparavant), être de nationalité française, jouir de ses droits civiques et politiques, être inscrit sur les listes électorales (donc être électeur), avoir recueilli au moins 500 « parrainages » d’élus répartis dans un certain nombre de départements français (dans le but principal de limiter le nombre de candidatures fantaisistes), établir une déclaration de situation patrimoniale, posséder un compte bancaire de campagne.
 Aux USA pour être candidat il faut entre autres conditions passer par des primaires de partis. Pour les candidats indépendants il faut que chaque candidature soit acceptée dans tous les Etats avec pour chaque Etat un système de filtre.
Au Sénégal, avec le projet de loi qui doit être discuté au Parlement introduit le parrainage de 1% du corps électorale et être électeur…
Comme nous le voyons, il y a plusieurs critères de présélection des candidatures à l’élection présidentielle. On pourrait par exemple et à juste titre se demander pourquoi au Sénégal on exclut de la compétition à une élection présidentielle un citoyen de moins de 35 ans. Ne doit-on pas faire correspondre l’âge pour être électeur à celui d’éligibilité donc les fixer tous les deux à 18 ans comme actuellement en France. Ce qui fait débat actuellement c’est la sélection par le parrainage. Il faut signaler que le parrainage n’est pas nouveau dans notre histoire politique. Dès 1963 déjà, pour être candidat à une élection présidentielle il fallait être parrainé par un parti politique légalement constitué ou par dix (10) députés. Par la suite, le nombre de députés est passé à cinq (05) avant que cette exigence ne soit supprimée. Aujourd’hui encore, le parrainage citoyen est toujours en vigueur mais il ne concerne que les candidatures indépendantes. A l’élection présidentielle de 2012 par exemple, la candidature du chanteur Youssou Ndour avait été recalée par le Conseil constitutionnel parce qu’elle n’avait pas obtenu les 10 000 parrainages citoyens nécessaires. En effet, Youssou Ndour méconnaissait la loi électorale car il avait certes réuni plus de 10 000 signatures de parrainage, mais moins de 10 000 étaient inscrits sur les listes électorales, or pour pouvoir parrainer il fallait préalablement être inscrit sur les listes électorales. Cette exigence de parrainage pour les candidatures indépendantes est une rupture manifeste d’égalité de tous devant la loi. Si les candidats des partis politiques ne sont pas soumis à cette exigence c’est que le législateur a longtemps considéré que ceux-ci bénéficient sans doute d’une certaine légitimité que n’ont pas forcément les candidatures indépendantes. Dans les faits, pour contourner cette exigence de parrainage beaucoup de nos compatriotes ont fait un raccourci en créant tout simplement un parti politique. Dans la pratique, beaucoup de partis politiques n’ont pas autant de soutiens populaires que bon nombre de candidats indépendants. Cette facilité pour la création d’un parti politique, l’absence de financement et donc de contrôle de l’Etat sur les partis politiques et leur facilité à se présenter à une élection ou à prêter voire à monnayer leur récépissé à des candidats qui n’ont pas de parti politique a conduit à une floraison de partis politiques (300) et à une pléthore de listes (47) lors des élections législatives du 30 juillet 2017 avec toutes les difficultés que cela a engendré. 
C’est donc pour corriger tous ces manquements que le Gouvernement du Sénégal veut présenter un projet de loi pour imposer le parrainage citoyen à toute candidature à l’élection présidentielle (ainsi qu’aux autres élections politiques). 
Il convient d'abord de rappeler que la plupart des démocraties modernes qui élisent leur chef de l'Etat au suffrage universel disposent d'un mécanisme de sélection des candidatures. Les parrainages citoyens sont généralement préférés aux parrainages d’élus dans les pays de l’Union européennes qui ont tous recours au parrainage. Dans l’Union européenne seule la France fait exception car son système de parrainage est exclusivement un parrainage par des élus. 
 Le parrainage a pour but de rendre une partie de sa crédibilité au débat politique national et aux enjeux démocratiques. Elle assurerait une réappropriation citoyenne, en devenant la cause ou la chose du citoyen. Le filtrage des candidatures au premier tour de l’élection présidentielle demeure un préalable utile dans un État de droit démocratique et pluraliste. L’objectif est de permettre aux électeurs d’opérer un choix clair face aux grandes orientations politiques sociétales et non de promouvoir des candidatures marginales ou farfelues ou régionalistes. Avec moins de candidats, le citoyen averti aura une plus grande lisibilité des choix politiques qu’on lui propose. Avec moins de candidats, l’Etat aura moins de dépenses et pourrait alors mieux rationnaliser l’argent publique en finançant plus facilement une partie des frais de campagne des candidats. Avec moins de candidats, l’organisation matérielle des élections sera plus allégée et plus efficiente aussi bien pour l’administration que pour les acteurs politiques. Avec moins de candidats, la sincérité du scrutin serait moins contestable car il y aurait moins de fraude et d’achat des consciences.  
D’après le projet de loi, seuls les citoyens ayant la qualité d’électeurs c'est-à-dire ceux qui sont valablement inscrits sur les listes électorales pourraient présenter un candidat et ce parrainage concerne seulement le premier tour de l’élection présidentielle. La répartition géographique des parrainages citoyens prend en compte le caractère national. Le candidat doit avoir des parrainages dans au moins sept (7) régions avec un minimum de deux mille parrainages par région. L’objectif ici est  d’éviter tout régionalisme ou tout localisme. 
Chaque candidat à l’élection présidentielle doit avoir le parrainage d’au moins 1% du corps électoral (au moins 65 000 signatures pour les élections de 2019).
Un électeur ne peut parrainer qu’un et un seul candidat pour chaque type d’élection. L’électeur pourrait parrainer le candidat de son choix et ceci ne présagerait pas du tout de son intention de vote. En clair, l’électeur peut parrainer le candidat pour qui il a l’intention de voter mais aussi parrainer un tout autre candidat même celui pour qui il sait d’emblée qu’il ne votera pas. Chaque candidat pourrait se parrainer lui-même mais rien ne l’y oblige à part le bon sens, il pourrait même ne pas parrainer du tout ou même parrainer son adversaire.
Il me semble qu’il aurait fallu aussi fixer le nombre de parrainage maximum requis pour que le parrainage ne soit pas dénaturé de sa fonction en laissant présager du score de tel ou tel autre candidat selon le nombre de parrainages que celui-ci aurait reçus. La sagesse des membres du Conseil constitutionnel interviendra à coup sûr car ceux-ci déclareront une candidature recevable ou non sans pour autant indiquer au public le nombre de parrainages que les candidats auront recueillis.
Pour résumer, les seules modifications de ce projet de loi sont le parrainage pour tous les candidats à une élection politique et le fait que désormais pour être candidat à une élection il faut préalablement être électeur donc être inscrit sur les listes électorales, rien d’autre n’a changé dans le Code électoral. L’inscription sur les listes électorales est une question de fait qui peut se prouver par tout moyen notamment par une carte d’électeur en cours de validité ou par le récépissé d’inscription sur les listes électorales en vigueur.  
Ajoutons pour finir que ce projet de loi ne viole pas la Constitution Sénégalaise ni les règles de la CEDEAO. En effet, l’article 69 de notre Constitution indique clairement que l’initiative des lois appartient concurremment au Président de la République et aux députés de l’Assemblée nationale.
En dehors du domaine expressément réservé à la loi la seule limite aux pouvoir du Président de la République en matière législative est le document de la CEDEAO intitulé « Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité ». L’article 2 de la Section II : Des élections indique : « Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ». En l’espèce, les plus proches élections sont les élections présidentielles fixées au 24 février 2019 donc à plus de six (6) mois de la réforme électorale dont il est question dans ce projet de loi sur le parrainage citoyen aux élections politiques. Le Président de la République peut donc sans aucune concertation ni sans aucun consensus soumettre ce projet de loi à l’Assemblée nationale. Dans le souci d’apaiser le climat politique et social suffisamment tendus, le Président de la République ne perdrait sans doute pas en faisant preuve de plus de pédagogie.  

Kaaw Sadio Cissé, le mollah
Juriste fiscaliste
Coordonnateur de la Fédération « Leketbi » 
de LDR/YEESAL Îles de France.  
Mardi 17 Avril 2018




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